L’ESA adopte officiellement la mission LISA !


Jeudi 25 janvier 2024, le Comité du Programme Scientifique (SPC) de l’Agence spatiale européenne a officiellement approuvé le démarrage du développement de la mission LISA qui observera les ondes gravitationnelles sur l’Univers entier. À travers ses laboratoires SYRTE et LUTH, l’Observatoire de Paris – PSL est fortement impliqué dans les préparatifs de la mission.

Prévues par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale en 1916, les ondes gravitationnelles ont été directement observées pour la première fois sur Terre en 2015. Elles sont les échos à distance des événements célestes les plus violents. Mais si elles traversent l’Univers à la vitesse de la lumière, elles sont très difficiles à observer car les déformations engendrées sont infinitésimales, et les meilleures installations terrestres sont limitées dans la gamme de fréquences observables notamment par le bruit ambiant.
Acronyme pour Laser Interferometer Space Antenna, LISA est la 3e mission de « classe L » du programme européen Cosmic Vision de l’ESA. Avec un lancement prévu pour 2035, son objectif est la détection des ondes gravitationnelles.

La mission sera constituée de trois satellites qui accompagneront la Terre sur sa trajectoire orbitale autour du Soleil. Postés dans son sillage, ils la suivront à une distance de 50 millions de kilomètres. Disposés selon un triangle équilatéral de 2,5 millions de kilomètres de côté, ils formeront un gigantesque interféromètre optique orienté à 60° du plan de l’orbite terrestre.

LISA

Les unités seront reliées 2 à 2 par des signaux lasers identiques et synchronisés, pour mesurer les déplacements entre des masses d’épreuve en chute libre à l’intérieur de chaque instrument. Placées dans un environnement isolé des perturbations extérieures (vent solaire, forces parasites, etc.), ces masses d’épreuve seront les témoins des infimes perturbations de l’espace-temps qui les rencontreront. La sensibilité attendue est de 10 picomètres, dans un domaine de basses fréquences gravitationnelles non encore explorées et impossibles à mesurer avec les laboratoires LIGO et VIRGO, opérant depuis le sol.

Le LUTH est impliqué dans la mission LISA sur divers points clefs :

Des chercheurs de l’équipe « Relativité et Objets Compacts » (ROC) ont étudié les systèmes binaires à rapport de masse extrême, désignés par l’acronyme EMRI (Extreme Mass Ratio Inspiral). Ces systèmes sont formés par un trou noir supermassif (plusieurs millions de masses solaires) au centre d’une galaxie et autour duquel orbite un <> corps : une étoile à neutrons ou un trou noir stellaire (quelques dizaines de masses solaires tout au plus). Les ondes gravitationnelles engendrées par le mouvement orbital du petit corps figurent parmi les sources principales attendues pour LISA. Les chercheurs du LUTH participent à l’effort international de développement d’un formalisme, dit de la self-force, permettant de calculer les formes d’ondes des EMRIs [1] et ont étudié les effets de marées dans ces systèmes binaires [2]. L’un d’entre eux a également développé un algorithme utilisant des processeurs graphiques (GPU) pour extraire les signaux des EMRIs des données de LISA [3]. Une collaboration a par ailleurs commencé il y a quelques années entre le LUTH, le LESIA et le SYRTE pour l’étude des EMRIs autour du trou noir supermassif au centre de notre galaxie, Sagittarius A*. Un premier travail a permis de montrer qu’en raison de la proximité de ce trou noir, LISA pourrait détecter des objets beaucoup plus petits que les trous noirs stellaires des EMRIs d’autres galaxies, à savoir des naines brunes ou d’hypothétiques trous noirs de faible masse formés dans l’Univers primordial [4]. Récemment un chercheur de l’IMCCE associé au LUTH a étudié les effets du spin du petit corps sur son orbite autour du trou noir supermassif et a montré que le système était intégrable, ce qui permettra de faciliter l’analyse des données de LISA [5}.

JPEG - 98.5 kio

L’équipe ROC du LUTH participe également à l’effort de modélisation des formes d’ondes gravitationnelles pour des binaires de masses comparables, en utilisant le formalisme post-Newtonien. Il s’agit d’un développement en champ gravitationnel faible et pour des faibles vitesses qui est directement utilisé pour construire les formes d’ondes utilisées pour analyser les données. Les travaux récents sur ce sujet ont consisté à améliorer grandement la précision des formes d’ondes prédites par la relativité générale [6], en incluant les effets de rotation intrinsèque des trous noirs [7]. Des chercheurs du LUTH ont également obtenu les premières formes d’ondes précises et complètes dans le cas des théories alternatives de la gravité contenant un champ scalaire supplémentaire [8].

Enfin, plusieurs chercheurs du LUTH sont impliqués dans les travaux des groupes de travail de la collaboration LISA sur les formes d’ondes et la physique fondamentale. Cela a notamment consisté à rédiger un livre blanc sur chacune de ces thématiques [9,10], afin de déterminer les étapes cruciales afin d’être dans la capacité d’analyser les données de LISA d’ici au lancement de la mission.

[1] B. Wardell, A. Pound, N. Warburton, J. Miller, L. Durkan & A. Le Tiec, Phys. Rev. Lett. 130, 241402 (2023) ; arXiv : 2112.12265
[2] A. Le Tiec & M. Casals, Phys. Rev. Lett. 126, 131102 (2021) ; arXiv : 2007.00214
[3] I.D. Saltas & R. Oliveri, prépublication arXiv : 2311.17174
[4] E. Gourgoulhon, A. Le Tiec, F. H. Vincent, & N. Warburton, Astron. Astrophys. 627, A92 (2019) ; arXiv : 1903.02049
[5] P. Ramond, article soumis.
[6] L. Blanchet, G. Faye, Q. Henry, F. Larrouturou & D. Trestini, Phys.Rev.Lett. 131 (2023) 12, 121402, arXiv:2304.11185
[7] R. Samanta, S. Tanay & L. C. Stein, Phys.Rev.D 108 (2023) 12, 124039, arXiv : 2210.01605
[8] L. Bernard, L. Blanchet & D. Trestini, JCAP 08 (2022) 08, 008, arXiv : 2201.10924
[9] LISA Consortium Fundamental Physics Working Group, Living Rev.Rel. 25 (2022) 1, 4, arXiv : 2205.01597
[10] LISA Consortium Waveform Working Group, soumis à Living Rev.Rel., arXiv : 2311.01300