Friedmann A. et Lemaître G. : Essais de cosmologie

précédés de "L'invention du big bang"

par Jean-Pierre Luminet.

Le Seuil, 1997.

 

 Voici un livre qui devrait ête lu par tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à la cosmologie physique tant au niveau de ses aspects techniques que de sa composante historique. En effet, l'ouvrage propose une republication des articles fondamentaux de Friedmann (1922-24) et de Lemaître (1927) consacrés aux modèles d'univers qui sont connus maintenant sous le nom de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker. Les articles de Friedmann sont pour la première fois traduits en français. Tous ces articles techniques sont précédés d'une série de trois études de vulgarisation : "L'univers comme espace et temps" (Friedmann, 1923), "L'expansion de l'espace" (Lemaître, 1931) et "L'hypothèse de l'atome primitif " Lemaître, 1945) qui montrent la remarquable capacité de ces grands scientifiques à communiquer à un large public les résultats de leurs travaux les plus ardus. Le lecteur non spécialiste qui désire s'initier à la cosmologie ne sera pas déçu. Une introducton très pédagogique et riche en informations de Jean-Pierre Luminet ("L'invention du big bang") lui permettra d'acquérir rapidement les éléments essentiels pour comprendre les textes qui sont publiés dans l'ouvrage.

L'ouvrage contient également la reproduction de la correspondance entre Lemaître, de Sitter et Einstein, provenant des Archives Lemaître de Louvain- la-Neuve. Une bibliographie de Friedmann et de Lemaître ainsi qu'une liste de certains ouvrages et travaux les concernant conclut ce livre passionnant.

Ce livre devrait se trouver dans toutes les bibliothèques des scientifiques, historiens et philosophes des sciences qui s'intéressent au développement de la cosmologie au vingtième siècle.

Dominique Lambert, Revue des Questions Scientifiques, novembre 1999.


Big Bang, d'où viens-tu ?

Anton Vos, Journal de Genève et Gazette de Lausanne, 13 décembre 1997.

 

Contrairement à ce que l'on pensait, la découverte du big-bang est due à deux chercheurs méconnus dont les travaux viennent d'être publiés pour la première fois.

"La notion du big-bang a entraîné une révolution cosmologique aussi importante que celle qu'a déclenché Copernic en 1543 en proposant un modèle de système planétaire héliocentrique et en reléguant la Terre à une place marginale." Dans son dernier livre, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et directeur de recherche au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), retrace l'histoire de l'invention du big-bang et les profondes implications qu’a eues celles-ci dans la pensée scientifique de ce siècle. Il rend aussi à deux chercheurs méconnus les lauriers qui leur reviennent. Ce sont en effet le russe Alexandre Friedmann (1888- 1925) et le belge Georges Lemaître (1894-1966) - et non Albert Einstein- qui ont montré, indépendamment l'un de l'autre, que la théorie de la relativité générale permettait l'existence d’un univers en expansion, issu d'une " explosion " initiale. Les articles scientifiques attestant de leur découverte forment la deuxième partie du livre sous le nom d’Essais de Cosmologie.

L'Univers, grâce à eux, a donc reçu une histoire : une naissance, le big-bang ; une croissance, l'expansion actuelle ; et peut-être un jour une mort que les astrophysiciens aiment a nommer symétriquement le " big-crunch ". Il s'agit là d'une idée réellement révolutionnaire pour l'époque. Auparavant, on concevait l'Univers comme une entité statique et sans aucune évolution. Étonnamment, Albert Einstein lui-même a longtemps rechigné à imaginer la possibilité d’un univers dont la métrique serait variable. Il avait même introduit intentionnellement une "constante cosmologique" dans sa théorie pour éviter ce cas de figure. Le plus difficile était peut-être d'accepter qu'il existe un commencement. Cette idée, fortement apparentée aux termes de genèse et de création, faisait bondir les physiciens qui y voyaient un amalgame scientifico-religieux.

Prêtre-savant

Toutefois, Georges Lemaître, qui en plus d'être un mathématicien émérite était également un prêtre, n’est jamais tombé dans cette confusion. "Il n'est pas inutile de souligner sa rigueur théologique, quand on voit aujourd'hui des astrophysiciens Américains déclarer qu'ils ont vu Dieu après avoir détecté expérimentalement des indices tendant à prouver l'existence du big-bang", précise Jean-Pierre Luminet dans la revue Science et Vie du mois de décembre.

C'est encore Georges Lemaître qui a imaginé et décrit le premier, en 1931, la fameuse singularité initiale, "l’atome primitif" selon ses propres termes, qui aurait donné naissance, en se désintégrant, à tous les composants de l'Univers actuel. La théorie n'avait pas encore le titre percutant d’aujourd'hui. L'humour d'un de ses adversaires scientifiques, le britannique Fred Hoyle, allait y remédier un peu plus tard. En 1960, lors d'une réunion à Pasadena aux États-Unis, celui-ci accueillait le savant belge sans tendresse avec ces mots : " This is the big-bang man ". Le ton était donné.

Antérieurs de quelques années à ceux de Georges Lemaître, les travaux d'Alexandre Friedmann, sans être allés aussi loin dans le développement de la théorie, dénotaient exactement la même intuition. Au début des années vingt déjà, le chercheur russe s'avançait même à déterminer un âge de quelques dizaines de milliards d’années pour l'Univers. La précision admirable de ses calculs ressort maintenant à la lumière des toutes dernières estimations du nombre présumé de bougies soufflées par l'Univers, situé entre 10 et 20 milliards.

Confirmation spectaculaire

Les deux chercheurs visionnaires n'avaient cependant pratiquement pas de données expérimentales pour étayer leurs hypothèses. Alexandre Friedmann, mort très tôt, en 1925, n’a même jamais pu voir ses prédictions vérifiées dans la pratique. Il a fallu attendre d'abord les observations de l'américain Edwin Hubble en 1929. Celles-ci ont confirmé que toutes les galaxies s'éloignent les unes des autres et donc que l'espace se dilate. Le célèbre chercheur en a d'ailleurs tiré une loi qui porte maintenant son nom. "Pourtant, Georges Lemaître avait formulé la même loi avant lui mais dans un article en français qui n’a été traduit en anglais et diffusé que bien au plus tard", note Jean-Pierre Luminet.

La plus spectaculaire preuve de l'existence du Big Bang a été la découverte, en 1965, du rayonnement fossile baignant l'espace en entier. Il s'agit de la trace indélébile, maintenant refroidie, que l'Univers a laissée de sa jeunesse, lorsqu'il était encore très chaud et dense. "L’éclat disparu de la formation des mondes", comme l'appelait Georges Lemaître. Ce dernier n'a d'ailleurs appris la nouvelle que quelques jours avant de succomber d’une leucémie sur son lit d'hôpital.

Le prix Nobel est finalement allé aux Américains Arno Penzias et Robert Wilson, chercheurs à la Bell Telephone Compagny qui ont découvert - par hasard - ce rayonnement fossile, tant il vrai que cette haute distinction récompense systématiquement les expérimentateurs plutôt que les théoriciens.

La longue marche du cosmos vers le mouvement

La perception de l'Univers a subi à travers les âges quelques révolutions notables. Les Grecs ont imprimé dans les esprits durant des millénaires une idée fausse de la gravitation, base de toute théorie cosmologique. Ils considéraient l'espace comme une entité figée et centrée sur la terre. L'intuition de Nicolas Copernic, en 1543, allait créer une première onde de choc : pour expliquer les mouvements des planètes, celui-ci place le soleil au centre du système, à la place de la terre. Une vision qui a mis près de deux siècles à s'imposer. Mais quelle est la force qui unit l'ensemble ? Mystère.

Au début du XVIIe siècle, Johannes Kepler et Galilée déblayent le terrain en formulant les lois régissant respectivement le mouvement des planètes et la chute des corps.

Grâce à une autre intuition, Isaac newton parvient finalement en 1687 à élaborer la première théorie de la gravitation sous le nom "d'attraction universelle". Du coup, l'Univers prend un aspect surprenant : il peut être infini et ses constituants se meuvent, animés par la force de gravitation. Toutefois, l'espace lui-même, le contenant, reste désespérément immobile.

Arrive alors Albert Einstein et sa théorie de la relativité générale en 1917 qui remanie profondément les concepts du temps, de l'espace, de la lumière et de la gravitation. Pourtant, le plus grand physicien du XXe siècle, ne voit pas - ou ne veut pas voir - que sa propre théorie permet la description d’un univers évolutif. Il se confine au cas particulier d’un univers statique. Deux chercheurs, russe et belge (lire ci-contre), laissant ces préjugés vieux de 2 mille ans de côté, découvrent que le cosmos a une histoire qui débute avec le big-bang.

Mais ce n'est pas fini. Non seulement l'espace et le temps se dilatent, mais la forme de l'Univers (sa géométrie) ne serait pas régulière. La topologie, un domaine récent en mathématiques, permet de décrire des univers étranges et complexes dans lesquels les lois de la relativité générale restent valables. Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS les qualifie de "chiffonnés". Ces univers seraient repliés sur eux-mêmes et on pourrait y voir plusieurs fois le même objet. "J’essaie maintenant de les tester par l'observation, explique-t-il. Mais les données actuelles sont encore insuffisantes pour y parvenir."