Guillaume Salluste Du Bartas :
Premier Jour de La Sepmaine



 

Dieu ne fit seulement unique la nature;
Ains il la fit bornée et d'âge et de figure,
Voulant que l'être seul de sa Divinité
Se vît toujours exempt de toute quantité.
Vraiment le Ciel ne peut se dire sans mesure
Vu qu'en temps mesuré sa course se mesure.
Ce tout n'est immortel, puisque par maint effort,
Ses membres vont sentant la rigueur de la mort:
Que son commencement de sa fin nous assure,
Et que tout va, ci bas, au change d'heure en heure.
Composez hardiment, ô sages Grecs, les cieux
D'un cinquième élément: disputez, curieux,
Qu'en leurs corps par tout rond l'oeil humain ne remarque
Commencement, ni fin: débattez que la Parque
Asservit seulement sous ses cruelles lois
Ce que l'Astre argenté revoit de mois en mois.
Le faible étaiement de si vaine doctrine
Pourtant ne sauvera ce grand Tout de ruine.
Un jour de comble-en-fond les rochers crouleront;
Les monts plus sourcilleux de peur se dissoudront;
Le Ciel se crèvera: les plus basses campagnes
Boursouflées croîtront en superbes montagnes;
Les fleuves tariront, et si dans quelque étang
Reste encor quelque flot, ce ne sera que sang;
La mer deviendra flamme: et les sèches baleines,
Horribles, meugleront sur les cuites arènes;
En son midi plus clair le jour s'épaissira,
Le ciel d'un fer rouillé sa face voilera;
Sur les astres plus clairs courra le bleu Neptune;
Phoebus s'emparera du noir char de la Lune;
Les étoiles cherront. Le désordre, la nuit,
La frayeur, le trépas, la tempête, le bruit,
Entreront en quartier; et l'ire vengeresse
Du juge criminel, qui jà déjà nous presse,
Ne fera de ce Tout qu'un bûcher flamboyant,
Comme il n'en fit jadis qu'un marais ondoyant.


 

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