Cyrano de Bergerac :
Les Etats et Empires de la Lune



 

Quand vous songez à ce néant, vous vous l'imaginez tout au moins comme du vent ou comme de l'air, et cela est quelque chose; mais l'infini, si vous ne le comprenez en général, vous le concevez au moins par parties, puisqu'il n'est pas difficile de se figurer, au-delà de ce que nous voyons de terre et d'air, du feu, d'autre air, et d'autre terre. Or l'infini n'est rien qu'une tissure sans bornes de tout cela. Que si vous me demandez de quelle façon ces mondes ont été faits, vu que la Sainte Écriture parle seulement d'un que Dieu créa, je réponds qu'elle ne parle que du nôtre à cause qu'il est le seul que Dieu ait voulu prendre la peine de faire de sa propre main, mais tous les autres qu'on voit, ou qu'on ne voit pas, suspendus parmi l'azur de l'univers, ne sont rien que l'écume des soleils qui se purgent. Car comment ces grands feux pourraient-ils subsister, s'ils n'étaient attachés à quelque matière qui les nourrit ?

Or de même que le feu pousse loin de chez soi la cendre dont il est étouffé; de même que l'or dans le creuset se détache en s'affinant de la marcassite qui affaiblit son carat, et de même encore que notre coeur se dégage par le vomissement des humeurs indigestes qui l'attaquent; ainsi ces soleils dégorgent tous les jours et se purgent des restes de la matière qui nourrit leur feu. Mais lorsqu'ils auront tout a fait consumé cette matière qui les entretient, vous ne devez point douter qu'ils ne se répandent de tous côtés pour chercher une autre pâture, et qu'ils ne s'attachent à tous les mondes qu'ils auront construits autrefois, à ceux particulièrement qu'ils rencontreront les plus proches: Alors ces grands feux, rebrouillant tous les corps, les rechasseront pêle-mêle de toutes parts comme auparavant, et s'étant peu à peu purifiés, ils commenceront de servir de soleils à d'autres petits mondes qu'ils engendreront en les poussant hors de leurs sphères. Et c'est ce qui a fait sans doute prédire aux pythagoriciens l'embrasement universel.
 

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