Léon Dierx :
Les Lèvres Closes



 

Rêve de la mort

La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage.
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.


Le Gouffre

Il est des gouffres noirs dont les bords sont charmants.

Je sais un gouffre noir sur la verte colline.
Des arbres de senteur l'ombragent en entier,
Et l'on y vient joyeux par le plus gai sentier.
Un matin j'admirais, l'âme neuve et ravie,
Tout cet enchantement de verdure et de fleurs
Suspendu sur le vide et mêlant leurs couleurs
Je m'enivrais de joie et d'arome et de vie.

Le soleil à travers les branches pacifiques
Criblait de diamants ces émaux sur ce noir;
Si bien que l'on eût dit sous la terre entrevoir
L'autre image du ciel dans les nuits magnifiques.
Et pour sonder le creux du soupirail profond,
Pour réveiller l'écho qui dormait sous ces plantes,
J'y fis tomber caillou, pierre et roches branlantes;
Mais comme au néant même en qui rien ne répond,
Tout s'abîmait. Nul bruit ne monta des ténèbres,
Un horrible frisson de pâleur et de froid
M'envahit tout à coup. Et je m'enfuis tout droit,
Souffleté par le vent des mystères funèbres.


 

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