Victor Hugo : Fin de Satan



 

Le soleil était là qui mourait dans l'abîme.

L'astre, au fond du brouillard, sans air qui le ranime,
Se refroidissait, morne et lentement détruit.
On voyait sa rondeur sinistre dans la nuit;
Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre,
Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre.
Charbon d'un monde éteint ! flambeau soufflé par Dieu !
Ses crevasses montraient encore un peu de feu,
Comme si par les trous du crâne on eût vu l'âme.
Au centre palpitait et rampait une flamme
Qui par instants léchait les bords extérieurs,
Et de chaque cratère il sortait des lueurs
Qui frissonnaient ainsi que de flamboyants glaives,
Et s'évanouissaient sans bruit comme des rêves.
L'astre était presque noir. L'archange était si las
Qu'il n'avait plus de voix et plus de souffle, hélas!
Et l'astre agonisait sous ses regards farouches.
Il mourait, il luttait. Avec ses sombres bouches
Dans l'obscurité froide il lançait par moments
Des flots ardents, des blocs rougis, des monts fumants,
Des rocs tout écumants de sa clarté première;
Comme si ce géant de vie et de lumière,
Englouti par la brume où tout s'évanouit,
N'eût pas voulu mourir sans insulter la nuit
Et sans cracher sa lave à la face de l'ombre.
Autour de lui le temps et l'espace et le nombre
Et la forme et le bruit expiraient, en créant
L'unité formidable et noire du néant.
Le spectre Rien levait sa tête hors du gouffre.

Soudain, du coeur de l'astre, un âpre jet de soufre,
Pareil à la clameur du mourant éperdu,
Sortit, brusque, éclatant, splendide, inattendu,
Et, découpant au loin mille formes funèbres,
Énorme, illumina, jusqu'au fond des ténèbres,
Les porches monstrueux de l'infini profond.
[...]


Victor Hugo: Inferi

Quelques-uns ont été des édens et des astres.
Et l'on voit maintenant, tout chargés de désastres,
Rouler, éteints, désespérés,
L'un semant dans l'espace une effroyable graine,
L'autre traînant sa lèpre et l'autre sa gangrène,
Ces noirs soleils pestiférés !
(...)
Où vont-ils ? La nuit s'ouvre sur eux et se referme.
Le ciel, quoiqu'il soit l'ombre où la clémence germe,
Ignore le gouffre puni;
Et nul ne sait combien de millions d'années
Doivent errer, traînant les larves forcenées,
Ces lazarets de l'infini.

Eh! quel effroi sur terre, et même au fond des tombes !
Quel frisson, si, parmi les foudres et les trombes,
Aux lueurs des astres fuyants,
Nous voyions, dans la nuit où le sort nous écroue,
Surgir lentement l'épouvantable proue
D'un de ces mondes effrayants !


 

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