Introduction au "Noir de l'Etoile"
par Jean-Pierre Luminet
En 1967, une jeune astronome détecta dans le ciel un signal radio
variant rapidement, sous la forme d'impulsions périodiques
espacées de 1,3 seconde. La découverte fit sensation. Les
impulsions étaient si régulières que pendant quelque temps
elles furent prises pour des signaux provenant de civilisations
extraterrestres. Les astrophysiciens ont dévoilé une
vérité tout aussi surprenante : les signaux étaient
émis par un pulsar, fantastique résidu compact engendré
dans les explosions de supernova qui ont jadis désintégré
les étoiles massives. Les pulsars n'ont qu'un rayon de quinze
kilomètres pour une masse aussi grande que celle du Soleil; ils sont
constitués de matière tellement entassée que leurs atomes
sont écrasés pour former une masse solide de neutrons. Un
dé à coudre de la matière d'une de ces étoiles
à neutrons pèserait sur Terre cent milliards de tonnes. Les
pulsars sont de gigantesques toupies aimantées. Certains pivotent sur
eux-mêmes plusieurs dizaines de fois par seconde, et leur champ
magnétique est mille milliards de fois plus grand que celui de la Terre.
Les lignes de force magnétique d'un pulsar canalisent les particules
électrisées de l'espace interstellaire le long de son axe
magnétique, ce qui permet l'émission d'un faisceau de
lumière tournant en même temps que l'étoile, à la
façon d'un phare cosmique. A chaque tour, le faisceau balaye la ligne de
visée de la Terre et les astronomes enregistrent une pulsation
lumineuse. Une partie de ce rayonnement est émise dans le domaine des
ondes radio. Elle peut donc être captée à l'aide de grands
radiotélescopes. Les radiotélescopes sont des radars
perfectionnés conçus pour détecter les signaux radio de
faible intensité, tels ceux en provenance des astres lointains. Ils sont
constitués de grandes surfaces métalliques lisses ou
grillagées sur lesquelles les ondes radio se
réfléchissent. Des antennes transforment les ondes en signaux
électriques. On peut amplifier ces signaux et les utiliser pour exciter
la membrane d'un haut-parleur. L'oreille humaine peut alors entendre le
bruissement des pulsars.
Dans la tornade électromagnétique délivrée par un
pulsar, le rayonnement radio ne représente qu'un chuchotement, et c'est
lui qui est capté par les instruments. Pour un astronome, tenter de
comprendre le fonctionnement d'un pulsar revient à tenter de comprendre
le fonctionnement d'une grosse machine cachée dans une usine en
n'écoutant que les quelques bruits sourds qui s'en échappent.
L'énergie collectée est infime ... En 50 ans d'observations,
l'ensemble de l'énergie recueillie par tous les radiotélescopes
du monde est plus faible que celle qu'il vous faut pour tourner une seule page
de votre programme.
Le premier pulsar que vous allez entendre a été
enregistré sur bande magnétique car il ne peut être
observé que dans l'hémisphère sud. Il se nomme
Véla, résidu de l'explosion d'une supernova que les hommes
primitifs ont sans doute vue en plein jour il y a 12 000 ans. Il tourbillonne
sur lui-même onze fois par seconde.
L'autre pulsar est capté en ce moment même par la station de
radioastronomie la plus proche. Il se nomme 0329+54 (les chiffres indiquent ses
coordonnées équatoriales : 3 h 29 mn d'ascension droite et
+54deg. de déclinaison). Il effectue 1,4 tour par seconde. La supernova
qui l'a engendré a explosé il y a 5 millions d'années et
ses impulsions radio mettent 7500 ans pour parvenir à la Terre.
Acheminées en direct dans la salle de concert, elles sont exactes au
rendez-vous.
Grands phares du ciel, les pulsars vont guider notre navigation musicale.
Ecoutons ces horloges cosmiques égréner leurs secondes. Nous
avons rendez-vous avec les gardiennes du temps. Ouvrons la fenêtre et
attendons l'heure juste.