30-09-2002

Origine de la RE


A l'origine de la relativité d'échelle se trouve une comparaison entre le statut et la structure des deux théories fondamentales que sont la Relativité Génerale d'Einstein (RG) et la Mécanique Quantique (MQ). La RG semble plus fondamentale (théorie du cadre, pas seulement des objets décrits dans un cadre pré-établi), mieux fondée (sur un principe premier, la relativité du mouvement) et donc plus complète au niveau conceptuel que la MQ (qui reste une théorie axiomatique). Cette comparaison mène à l'idée de tenter de comprendre la MQ à partir des concepts (mais pas forcément des méthodes) de la RG et non l'inverse.

Dans un tel cadre de pensée, une première interrogation surgit aussitôt: que manque t-il, CONCEPTUELLEMENT, à la MQ, par rapport à la RG ? La réponse est immédiate: un ESPACE-TEMPS...
 

 La relativité d'échelle est une tentative de généralisation du principe de relativité d'Einstein (dont le champ d'application essentiel concernait jusqu'à maintenant les lois du mouvement) aux lois d'échelle caractérisant les résolutions spatio-temporelles.

   Le principe de relativité stipule que les lois de la nature doivent être valides quel que soit l'état du système de référence. Les différentes théories de la relativité qui ont été construites sur ce principe, depuis Galilée, correspondent à des généralisations successives des transformations admises entre systèmes de coordonnées spatio-temporelles. Pour mettre en oeuvre ce principe, il faut être capable de définir explicitement ce qu'est un système de coordonnées: or il s'avère que les différentes grandeurs qui caractérisent son "état" (son origine, l'orientation de ses axes, sa vitesse, son accélération...) ne peuvent jamais être définies de manière absolue: seule la position d'une origine relativement à un autre système, la vitesse d'un référentiel relativement à un autre référentiel, ont un sens physique.

 En ce sens, on peut dire que la relativité commence avec Copernic, qui nous a fait comprendre le premier que la Terre n'occupait aucune position privilégiée dans l'espace, et que tous les choix possibles d'origine devaient être équivalents pour l'expression des lois de la physique. Bien sûr, Copernic n'a pas pour autant construit une théorie de la relativité:  en effet la relativité, ce n'est pas seulement analyser le caractère relatif de certaines grandeurs physiques, mais c'est surtout réaliser que ce fait intuitif, simple et apparemment trivial (l'impossibilité d'une définition absolue des paramètres qui caractérisent l'état des systèmes de coordonnées) est structurant pour les lois de la physique. La relativité, c'est le contraire du "relativisme".

 Les théories de la relativité commencent vraiment avec la relativité des mouvements rectilignes uniformes (inertiels) due à Galilée, ("le mouvement est comme rien"); se développent avec Newton qui utilise cette compréhension nouvelle de l'inertie pour unifier les mouvements terrestres et célestes et construire une gravitation universelle (même si Newton est revenu à l'idée d'un espace absolu, il n'en a pas moins utilisé la méthode de pensée relativiste pour réaliser que,  par rapport à un référentiel inertiel, la lune tombe vers la Terre); avec Poincaré et Einstein qui montrent que la solution apportée par Galilée au problème des mouvements inertiels n'est qu'une approximation valable seulement aux petites vitesses et fondent indépendamment la relativité restreinte; et culminent avec la relativité généralisée d'Einstein, dans laquelle c'est l'existence même de la gravitation qui est démontrée, et sa nature explicitée comme manifestation de la courbure de l'espace-temps.

 La question qui se pose évidemment à la lumière de cette évolution historique est de savoir si la relativité est "complète", ou en d'autres termes, si les grandeurs essentielles qui peuvent caractériser l'état des systèmes de coordonnées (et leurs transformations) ont toutes été prises en compte. Dans le domaine de la physique classique, il semble que ce soit le cas. Mais qu'en est-il des domaines "frontière" que sont les toutes petites échelles, régies par la physique quantique, et les très grandes échelles, champ d'étude de la cosmologie ?
 

 Dans ces deux domaines, les expériences et les observations démontrent que les phénomènes physiques dépendent, d'une manière essentielle, non seulement de l'état de mouvement des systèmes de références, mais également des résolutions spatio-temporelles auxquelles les mesures sont faites. La théorie de la relativité d'échelle consiste à prendre en compte ce nouveau comportement: elle se fonde pour celà sur le caractère relatif des résolutions (seul un rapport de résolutions a un sens, jamais une résolution absolue): on redéfinit ces résolutions comme caractérisant l'"état d'échelle" du système de coordonnées, (de même que la vitesse en caractérise l'état de mouvement), puis on exige que les équations de la physique gardent leur forme sous leurs transformations ("covariance d'échelle"), c'est-à-dire sous les contractions et dilatations des résolutions spatio-temporelles. En d'autres termes, il faut, dans un tel cadre, rajouter aux lois du mouvement (décrites par des équations différentielles correspondant à des déplacements spatiaux et temporels) de nouvelles lois d'échelle, décrites par des équations différentielles qui correspondent cette fois à des changements infinitésimaux de résolution en un même point de l'espace-temps.

 Mais on est également amené d'une manière inévitable à une telle approche pour des raisons théoriques. Le principe de relativité "général" d'Einstein ne l'est pas complètement: il ne considère que les transformations continues et différentiables des systèmes de coordonnées. On fait depuis Galilée et Newton l'hypothèse de la différentiabilité de l'espace-temps (qui suppose qu'on peut définir la pente d'une courbe): une telle hypothèse n'est en fait fondée sur aucune preuve théorique ou expérimentale. Au contraire, Richard Feynman a montré à la fin des années 40 que les trajectoires typiques des particules en mécanique quantique étaient continues mais non-différentiables. Or on peut démontrer que la longueur d'une courbe continue mais nulle-part différentiable dépend explicitement de la résolution, et même tend vers l'infini quand l'intervalle de résolution tend vers zéro: en d'autres termes, une telle courbe est fractale (au sens très général initialement donné par Mandelbrot à ce terme). Ainsi la levée de l'hypothèse de différentiabilité mène au concept d'un espace-temps de nature fractale (montrant des structures à toutes les échelles), et la généralisation du principe de relativité aux transformations non-différentiables va passer par l'intervention explicite des résolutions dans les équations fondamentales de la physique.

 Une première conséquence de cette théorie concerne notre compréhension de la mécanique quantique: dans ce cadre, les comportements quantiques, souvent paradoxaux, trouvent leur origine dans la non-différentiabilité et le caractère fractal de l'espace-temps. Le caractère complexe de la fonction d'onde (au sens des nombres complexes), d'où provient pour une grande part l'essentiel du comportement quantique; le principe de correspondance, qui aux grandeurs classiques fait correspondre des opérateurs différentiels; l'équation de Schrödinger et son interprétation statistique, peuvent se démontrer à partir de telles prémisses.

 Mais les conséquences du principe de relativité appliqué aux transformations d'échelle ne s'arrêtent pas là: il conduit non seulement à comprendre la mécanique quantique comme manifestation de la relativité des échelles dans la nature, mais surtout à définir un cadre élargi où elle se trouve généralisée. En effet la mécanique quantique standard est obtenue comme un cas extrêmement particulier (et dégénéré) du type de lois qui satisfont au principe de relativité. En fait, les lois usuelles de contraction et de dilatation des résolutions ont la structure mathématique du groupe de Galilée (en représentation logarithmique). Mais on peut montrer que la solution générale au "problème relativiste restreint" (trouver les lois de transformation linéaires qui satisfont au principe de relativité) prend la forme du groupe de Lorentz. Ainsi les nouvelles lois d'échelle ont le même statut par rapport aux anciennes lois que celui des lois du mouvement lorentzien par rapport aux lois d'inertie galiléennes.

 Dans la théorie galiléenne du mouvement, la vitesse peut devenir infinie, l'énergie et l'impulsion tendent vers l'infini quand la vitesse croît indéfiniment. Par contre, en relativité d'Einstein, la vitesse relative entre deux objets ne peut jamais dépasser une certaine limite universelle, c, qui s'identifie à la vitesse de n'importe quelle particule de masse nulle dans le vide (en particulier, celle de la lumière). L'énergie et l'impulsion peuvent toujours croître indéfiniment, mais c'est maintenant quand la vitesse tend vers c  qu'elles tendent vers l'infini: la vitesse c joue en fait le rôle qui était dévolu à la vitesse infinie dans la théorie galiléenne.

 Dans les lois d'échelle usuelles, la résolution des mesures de longueur et de temps est sensée pouvoir être diminuée indéfiniment jusqu'au point zéro. Les relations de Heisenberg impliquent que l'impulsion et l'énergie nécessaires pour faire des mesures avec une résolution qui diminue vers zéro doivent tendre vers l'infini.

 Par contre, dans les lois de dilatation et de contraction de la relativité d'échelle, il apparaît une échelle inférieure, limite, invariante sous les dilatations, qui joue ainsi pour les lois d'échelle le même rôle que joue la vitesse de la lumière dans les lois du mouvement. Cette échelle de longueur et de temps, qu'on peut identifier à l'échelle de Planck (10^-33 cm et 10^-44 s) est indépassable vers les plus petites résolutions, au sens où celles-ci n'existent plus. Il ne s'agit pas là d'un "mur", d'un "cutoff" ou d'une quantification: la nature de cette échelle se rapproche plus de celle d'un "horizon", conséquence de la forme nouvelle prise par la loi des contractions successives: 2 fois 3 ne font plus 6! (de la même manière que 2 + 2 ne fait plus 4 en relativité du mouvement). L'échelle d'énergie-impulsion diverge maintenant quand les résolutions tendent vers l'échelle de Planck, et non plus vers le point zéro.

 Ce nouveau cadre permet de poser de manière renouvelée certains des problèmes qui restaient ouverts en théorie quantique (et parfois de leur proposer des solutions), tels celui des divergences (que la renormalisation n'avait réglé qu'en partie) ou celui de l'origine et de la valeur des masses et des charges des particules élémentaires.
 

Adapté de l'article "Relativité d'échelle et cosmologie", paru dans: Ciel et Terre, Bulletin de la Société Royale Belge d'Astronomie vol. 114 (2), 63-71 (1998). (PDF)
 


Retour à la page de présentation